Wahdi
J’ai rencontré Wahdi pour la première fois le soir de mon arrivée. Il m’a d’emblée paru être une personne éduquée, accessible et charmante. Je n’utilise pas le mot par hasard, car il semble en effet charmer son entourage. C’est une personne très diplomate, respectée et reconnue. Cela fait déjà plusieurs années que Wahdi travaille avec FFI sur les conflits entre les hommes et les éléphants et il a su créer dans ce contexte multi-acteurs, le projet des CRU.
Wahdi a toujours été passionné par la nature et c’est au cours de ses études de vétérinaire qu’il a commencé en tant que volontaire à travailler au contact des éléphants, à travers le programme en charge des espèces en danger en Indonésie (BKSDA) mis en place par le gouvernement , il y a une quinzaine d’années. Il a donc une idée précise des racines du problème : « un habitat toujours de plus en plus réduit pour l’éléphants face à la déforestation pour la plantation de nouvelles cultures, mais aussi une perte des traditions dans le choix des cultures et la perception de l’éléphant ». L’éléphant fait en effet partie de l’histoire d’Aceh puisqu’il était un animal prisé et utilisé pour différentes tâches, dans les champs ou sur les champs de bataille. Les habitants d’Aceh vouaient donc un grand respect à cet animal emblématique, ne l’appelant pas directement par son nom mais utilisant des formules respectueuses comme Po Meurah. De plus, l’introduction, ces vingt dernières années, de cultures qui attirent les éléphants, telles les plantations de palmiers pour l’huile de palme est, d’après lui, une des raisons majeures de l’escalade des conflits entre l’homme et l’éléphant. Ces conflits entrainent une perception négative de l’éléphant, non seulement par les paysans mais aussi par les citadins à cause de « l’image négative véhiculé par les médias ». Wahdi regrette donc le temps où le respect pour cet animal était transmis de générations en générations et où l’on cultivait encore les épices, herbes traditionnelles d’Aceh qui faisaient, selon lui, la réputation mondiale de l’île de Sumatra et permettait de cohabiter avec les éléphants.
C’est d’ailleurs là que réside, selon lui, une des solutions principales pour assurer la survie des éléphants. Pour reprendre ses mots, « nous pouvons vivre avec l’éléphant si nous ajustons la façon dont nous vivons. Beaucoup de personnes travaillent à repousser les éléphants sauvages quand il s’agit de travailler sur les conflits entre l’éléphant et l’homme mais peu essayent de comprendre comment on peut cohabiter. Prenons l’exemple d’un paysan : il a besoin de comprendre les conditions météorologiques ou la qualité du sol pour savoir quelles graines il peut planter, mais il ne prend jamais en compte la présence de l’éléphant, il pense que ça, c’est le problème du gouvernement ». Pour lui, on essaye de séparer l’homme et l’animal avec des barrières, mais ce ne sont que des « barrières psychologiques » puisque, s’il s’agit de leurs domaines vitaux, les éléphants franchiront ces barrières. Pourtant quand on réfléchit aux moyens pour cohabiter avec les éléphants, il existe, d’après Wahdi, des centaines de solutions. Il faudrait « revitaliser la façon dont les gens vivaient dans le passé qui n’était pas seulement compatible avec l’éléphant mais aussi avec le sol, le besoin en eau etc… ».
De plus, travailler sur le changement et l’amélioration des moyens de subsistance des populations locales représente un point d’entrée pour travailler sur des projets de conservation en collaboration avec le gouvernement local. En effet, si celui-ci ne s’implique pas dans les projets de protection de la nature, il investit cependant dans ce développement. Travailler sur les conflits avec les éléphants permet de lier ces deux objectifs. Wahdi semble d’ailleurs très bien manier les ficelles politiques qui entourent la protection de l’environnement en Indonésie. C’est dans ce contexte qu’il a participé à la création des CRU, qui représente selon Wahdi un magnifique concept. « Il crée un pont entre protection ex-situ et protection in-situ en utilisant des éléphants provenant des camps gouvernementaux (… où leurs conditions de vie vous ferait pleurer…) pour la protection de l’environnement sur le terrain. Il permet aussi de valoriser les éléphants en les ramenant vers la communauté mais aussi leur dresseur en réhabilitant leur travail et leur image auprès des communautés locales. » Maintenant, FFI possède des personnes en permanence sur le terrain avec le CRU, ce qui permet d’instaurer un climat de confiance et d’amener ainsi les populations locales à confier leurs problèmes. Wahdi reconnait aussi que pour l’instant certains aspects de l’idéologie des CRU n’ont pas été implémentés faute de moyens, qu’ils agissent certaines fois à court-terme mais que cela permet de mieux préparer les actions sur le long-terme. « On n’agit pas seulement une fois pour ensuite s’en aller (hit and run), on vit avec la communauté, on lui donne ainsi le sentiment qu’on se préoccupe d’elle».