Matthew
Matthiew Linkie est le directeur de FFI pour la province d’Aceh. Il est décrit par les personnes travaillant dans la conservation de l’environnement comme un « tiger man » puisque ses études et recherches ont porté principalement sur le tigre de Sumatra. Cependant, au sein de FFI Aceh, il gère des projets liés à la conservation du tigre de Sumatra mais aussi sur un grand nombre d’autres sujets tels que le développement local, la lutte contre la déforestation, la protection marine et aussi, bien sûr, les conflits avec les éléphants. Il est largement reconnu comme une personne très efficace dans son travail et selon moi, un très bon gestionnaire d’équipe : il laisse une marge de manœuvre à ses équipes, ce qui permet de mener un grand nombre de projets différents et pertinents. Il m’a toujours donné des conseils importants et permis d’avancer pas à pas.
Lorsque j’ai discuté avec lui de sa relation avec les éléphants, il m’a raconté sa rencontre la plus marquante avec des éléphants sauvages d’une telle façon que j’avais le sentiment d’y avoir été. Il se trouvait au cœur de la jungle dans le parc de Kerinci, après une marche de trois jours, « aussi éloignée dans la forêt qu’il était possible d’aller ». Il s’y trouvait avec une équipe de 15 personnes pour trouver des signes de la présence du tigre. Ils savaient que des éléphants sauvages étaient proches car ils trouvaient sur le chemin de nombreuses bouses fraîches. Chacun était « sur les nerfs, et très anxieux, » ils savaient que les éléphants étaient proches et redoutaient de se faire charger par une troupe d’éléphants. Ils guettaient les signes de leur présence et se demandaient en permanence dans quelle direction il faudrait courir pour pouvoir se protéger sans pour autant perdre le reste du groupe ni s’égarer dans la jungle. Ce jour-là , ils avaient trouvé des traces de tigre qu’ils suivaient mais aussi deux traces qui semblaient venir de rhinocéros, et puis ils ont entendu le son de « coups », les éléphants se trouvaient à 10 mètres en dessous : « nous nous sommes tous mis à courir, et je suis même tombé en courant car je portais seulement des sandales (mes chaussures avaient brûlé dans le feu maintenu au camp toute la nuit précédente pour justement effrayer les éléphants), mais heureusement pour nous ils ne nous ont pas chargé ». Il m’explique que deux semaines auparavant deux personnes ont été chargées par un groupe d’éléphant et ont eu de la chance de s’en sortir. Il est clair que travailler sur le terrain à proximité d’éléphants sauvages peut potentiellement être dangereux.
En tant que scientifique, il me dit qu’il n’a pas de « connexion particulière » avec l’éléphant. Il pense que le son de leur « profond grondement » est particulièrement impressionnant et que ce sont des animaux très charismatiques. Dans le cadre des CRU, il me décrit les éléphants comme l’essence du camp. Avant de venir travailler dans la province d’Aceh, il avait travaillé sur la coexistence entre les hommes et les animaux au sein de son université. Il est devenu directeur de FFI en 2008 et m’explique que le conflit entre les éléphants et les hommes est leur principal challenge. En effet, il s’agit d’un problème en terme de conservation de l’espèce mais aussi sociale puisqu’il détruit les moyens de subsistance de la population locale. Aceh constitue une zone d’habitat large et continue et contient une importante population d’éléphants créant ainsi de nombreux conflits. « Notre travail numéro un est donc d’organiser une réponse pour mitiger les conflits. Quand un champ représentant les revenus d’une famille entière et détruit juste avant la récolte, il s’agit d’une perte énorme !». Le travail de FFI dans la province d’Aceh a d’ailleurs commencé par un projet de récolte de données sur la population d’éléphants sauvages dans la région en 1998. Aceh était encore à ce moment-là en guerre civile et FFI devait donc obtenir des permis pour aller sur terrain à la fois par le gouvernement mais aussi les forces rebelles sans que l’autre partie ne soit au courant de leur collaboration. Matthiew m’explique d’ailleurs que durant la guerre civile, beaucoup de personnes locales avaient laissé leur champ et leur jardin à l’abandon, c’est donc à la fin du conflit et le retour à l’utilisation de ces terres que les conflits avec les éléphants ont augmenté.
Avant la création des CRU en 2009 et celle du programme « Community ranger », FFI répondait au conflit avec les éléphants de façon épisodique. Aujourd’hui, ces deux programmes permettent d’avoir une réponse plus rapide et plus claire. Ils sont plus organisés, « on sait où et quand ». Ils travaillent aussi d’avantage en relation avec la population locale pour leur enseigner la réaction à avoir lors d’un conflit avec les éléphants. Avec ce travail, FFI a pu aussi cartographier les zones de conflits. Les CRU sont donc très important « pour éviter que les éléphants soient tués, sachant que le gouvernement seul ne pourrait répondre qu’à seulement quelques conflits ». Matthiew comprend aussi que « l’utilisation des éléphants domestiques puissent être remis en question au sein des CRU » (certains CRU existent sans éléphants domestiques) cependant, les CRU leur apportent un meilleur cadre de vie et ils permettent un changement de mentalité des populations locales lorsqu’ils voient que les éléphants peuvent aussi être utiles. A l’avenir, Matthiew espère, pour une meilleure stabilité dans le temps, que les CRU puissent être indépendants financièrement, par l’éco-tourisme peut-être mais aussi par une implication supérieure du gouvernement.
J’aimerais rajouter quelques lignes sur la discussion que j’ai eu avec Matthiew qui ne concernent pas directement les conflits avec les éléphants mais représentent par une belle image le travail qu’il réalise autour d’Aceh. Je lui ai en effet demandé comment c’était pour un européen de travailler ici. Il m’a expliqué que Aceh, à cause de son histoire (guerre civile, tsunami) était un endroit très « intense pour travailler ». Les Acehneeses sont des battants et ne répondent pas toujours bien aux différentes interventions. « C’est comme une boule d’énergie, et on peut aider en gardant un œil bienveillant dessus ou en la dirigeant dans la bonne direction. Il y a une force d’esprit particulière chez les Acehneese et j’aime travailler avec eux ».