Lou
Ce dernier portrait est plus un bilan qu’un réel portrait, un portrait personnel à la fin de cette magnifique expérience. Pour remettre un peu les choses dans leur contexte, pour moi, venir en Indonésie présentait une opportunité incroyable. C’était une chance de mettre en pratique mes connaissances accumulées en écotourisme lors de ma licence et du début de mon Master. C’était aussi la découverte d’un conflit homme-animal autre que celui avec le loup : cette fois-ci le conflit homme-éléphant dans le contexte d’un pays en voie de développement. Ce voyage représentait aussi certains challenges : l’apprentissage d’une nouvelle langue et le fait de m’installer et de travailler dans un pays où la culture était très différente des pays que j’avais visités auparavant.
Pour reprendre mon séjour étape par étape, j’ai eu la chance d’être très bien entourée, ce qui a largement facilité mon adaptation. En effet, une des raisons pour lesquelles je suis venue à Banda Aceh est mon amie Wiza, originaire de cette région et travaillant elle aussi pour la conservation de l’environnement. Elle, Shayne et Luke, ses collègues, à travers nos multiples discussions ont pu m’immerger rapidement dans le contexte local, me présenter à de nombreuses autres personnes, et m’expliquer l’historique de la région et les menaces majeures pesant sur l’environnement. Ils ont su me donner les clefs d’une adaptation réussie et les attitudes à avoir pour une meilleure intégration avec les locaux. Pour la langue, l’indonésien est une langue facile car il n’y a aucune règle de grammaire et après avoir appris un peu de vocabulaire par internet et pratiqué un peu, je me suis rapidement débrouillée. Cependant, mon indonésien reste basique et je suis vite perdue lorsque les discussions sortent des sujets habituels tels que la famille, les activités, et les origines. J’ai toujours besoin d’un traducteur pour les réunions de travail mais aussi pour la réalisation des portraits. La langue a fait partie des barrières qui ne m’ont pas permises de faire un portrait parmi les paysans locaux ou acteurs de la population locale comme je l’espérais à l’origine. En effet, je n’avais pas de traducteurs en permanence avec moi et mon peu d’indonésien ne m’aurait pas permis de retranscrire fidèlement les sentiments des acteurs locaux que j’ai rencontrés. Une autre difficulté est aussi que, malgré mon apprentissage de l’indonésien, la langue locale ici est l’acheneese, et bien qu’ils parlent tous l’indonésien, lorsqu’ils parlent entre eux, ils utilisent l’acehneese ! Alors imaginez ma déception quand toute fière de mes quelques mots de vocabulaire d’Indonésien, je me suis rendue sur le terrain dans une équipe d’environ 10 personnes (que des hommes !) et que je n’étais pas plus capable de comprendre leur discussion puisqu’ils parlaient l’acehneese ! Enfin, les locaux sont très gentils et la région d’Aceh magnifique, ce qui m’a permis de me sentir confortable plus facilement.
Pour ce qui est de la partie du travail, j’ai dû relever quelques défis supplémentaires. Tout d’abord, je suis arrivée à un moment de réorganisation au sein des équipes de Flora an Fauna International (FFI). Quelques-uns des acteurs principaux travaillant dans les Conservation Response Units (CRU voir projet) ne travaillent par exemple plus pour FFI et le bureau de Banda Aceh devrait accueillir sous peu un nouveau manager. Dans ces circonstances, il a été un peu difficile de trouver quelqu’un pour me suivre et soutenir mon travail. De plus, il s’agissait pour moi de m’adapter à un nouveau mode de travail. Les choses ici ne se font pas au même rythme et il faut être sûr de prendre tous les acteurs en considération avant de pouvoir faire un pas en avant. Il m’a fallu réévaluer à plusieurs reprises mon calendrier (j’ai relu dernièrement les premiers projets que j’avais montés, je me rends compte aujourd’hui que l’ambition de recevoir les premiers ‘volontouristes’ avant mon départ était complètement irréaliste). Par ailleurs, ce que j’ai particulièrement apprécié durant mon séjour, c’est le nombre d’opportunités qui m’ont été données pour travailler sur des projets différents (j’ai par exemple participé à un Reef Check, évaluation du corail autour des îles de Pulau Banyaks). Il y a tant à faire pour la protection de l’environnement ici, qu’une fois introduit dans le cercle des gens travaillant pour cette cause, il est possible de s’investir dans un grand nombre d’actions. Dans l’ensemble, comme pour tout travail sur une courte durée, j’aurais aimé pouvoir faire plus, mais je pense avoir construit les bases pour que ces projets puissent continuer à se développer.
Une de mes parties préférées dans mon travail était bien sûr la participation sur le terrain, au sein des camps, avec les éléphants domestiques (je n’ai pas vu d’éléphants sauvages durant mon séjour). L’éléphant est un animal vraiment fascinant et assez imposant. J’ai été impressionnée par sa façon de répondre aux ordres donnés seulement par la voix. J’ai aussi été touchée par la relation créée avec les cornacs : par exemple, sur le camp de Mane, un cornac en particulier aime plaisanter et son éléphant, comme lui, est toujours celui qui asperge d’eau les personnes l’entourant et fait le pitre. C’est sur le terrain aussi et à travers les histoires que l’on m’a racontées que j’ai pu avoir une vue d’ensemble sur le conflit avec les éléphants sauvages. Il faut préciser que nous sommes ici dans un contexte bien différent que le contexte français. Le gouvernement Indonésien est l’organisme en charge de la faune sauvage, mais il n’existe aucun moyen de soutien en place pour la population locale dans la majorité des districts d’Aceh. Il n’existe pas de système de compensation, qui, d’après les personnes travaillant sur le conflit, ne pourrait pas être créé dû au taux de corruption trop élevé dans cette région. L’éléphant dans ce cadre, représente une menace sérieuse pour les moyens de subsidence d’une famille et leur condition de vie en général. La destruction d’un champ juste avant la récolte peut avoir un impact réel sur la famille propriétaire du champ. De plus le conflit avec les éléphants dans la conjoncture actuelle n’est pas prêt de se réduire puisque le taux de déforestation ne fait qu’augmenter. En effet, le gouvernement de Aceh essaye de faire valider un plan spatial permettant de réduire la couverture forestière dans la région de Aceh (aujourd’hui à 65%) à 45% , ce qui aurait des conséquences désastreuses pour la survie des espèces tels que l’orang-outang, le tigre de Sumatra, l’éléphant de Sumatra, et le rhinocéros de Sumatra (pour plus d’informations, http://www.avaaz.org/fr/le_plan_pour_tuer_les_orangs_outans/?vc). La jungle autour d’Aceh est pourtant un environnement exceptionnel et à chacun de mes treks où nous avons passé des nuits dans la forêt, j’ai été impressionnée par la diversité d’espèces que nous avons rencontrées. J’espère donc que l’éléphant en tant que espèce charismatique et à travers l’écotourisme puisse devenir un des emblèmes pour protéger ce magnifique écosystème.
Les CRU dans ce cadre sont des projets importants à même échelle que les Community Ranger (voir descriptions projet et portrait des Community Rangers). Ces deux projets de FFI combinés ensemble présentent des outils de suivi et de soutien primordiaux dans les zones où le gouvernement était auparavant absent pour gérer les conflits avec les éléphants (le gouvernement fait partie des multiples partenaires qui ont aussi participé à la mise en place des CRU). Ils permettent d’éviter une escalade du conflit qui, si non géré, peut conduire à des incidents comme la prise en otage de l’éléphanteau sauvage dans le Sud d’Aceh (voir portrait Suji). Ces deux programmes ont aussi des objectifs importants d’éducation de la population locale. Cependant, je pense que leur potentiel éducatif n’a pas encore été atteint. J’ai donc proposé dans mes recommandations la création d’un centre interprétatif afin de diffuser plus d’informations sur l’éléphant de Sumatra et le conflit entre l’éléphant et l’homme. En effet, lorsque j’ai discuté avec des locaux non directement touchés par les conflits avec les éléphants (personne vivant à Banda Aceh par exemple), ils n’avaient aucune connaissance des raisons de ce conflit (l’impact de la déforestation sur l’habitat de l’éléphant, des cultures implantées sur le chemin habituel que suivent les éléphants etc.). Certains s’imaginaient d’ailleurs que c’était les éléphants qui venaient consciemment en dehors de leur territoire pour se nourrir dans les champs cultivés. Ils ne se rendaient pas compte qu’il s’agissait à l’inverse de l’intrusion de l’homme sur le territoire des éléphants. Les options de gestion du conflit sur le plus long terme à travers le changement des espèces cultivées pour celles qui n’attirent pas les éléphants (citron, café, piments, etc.) n’ont aussi été que faiblement explorées. Un programme éducatif présentant ces solutions à long-terme, en créant par exemple un jardin éducatif où pousseraient ces espèces permettant la cohabitation avec l’éléphant, pourrait être un réel atout pour les CRUs. Il deviendrait possible pour ces différentes actions d’être soutenues par la mise en place d’une offre de ‘volontourisme’ au sein du camp, ceci étant ma proposition principale faite à FFI et aux différents partenaires pour développer l’écotourisme au sein des CRUs.
Je suis aujourd’hui à la fin de mon séjour et je pense avoir acquis l’expérience que je recherchais avant mon arrivée. Cependant, je ne dis pas que ça n’a pas été sans frustration ! Il m’a été parfois difficile de m’adapter aux méthodes de travail et au rythme local. Un des problèmes principaux dont j’ai été témoin à plusieurs reprises pour travailler dans le domaine de la conservation dans la région d’Aceh est le manque de collaboration existant ici. En France, il existe une certaine compétition entre différentes ONG par rapport aux données et aux financements. Toutefois ici, tout semble secret, chacun agit de son côté jusqu’à ce que la collaboration soit obligatoire et ce n’est qu’à ce moment-là que les informations sont partagées. Cela m’a demandé d’adapter de nouveau l’agenda et le plan sur lequel je travaillais. De plus, pour avoir vu sur le terrain un grand nombre de projets soutenus par d’importantes donations (Aceh a reçu une très forte aide internationale à la suite du Tsunami), j’ai été parfois surprise par le manque de suivi de certains de ces projets. Je me suis ainsi rendu compte d’un point important : que ces projets n’imposent pas des actions en fonction de leur point de vue occidental, mais à l’inverse supportent la population locale pour trouver leurs propres solutions, permettant une vision sur le long terme.
Au final, mon expérience à Banda Aceh m’a donné la confiance nécessaire pour savoir que je peux travailler dans un contexte différent, la capacité d’ajuster mes connaissances théoriques à la pratique sur le terrain, et une chance incroyable d’élargir mon réseau, mais surtout cela m’a permis de découvrir une région magnifique et je reviens la tête pleine de souvenirs, entre treks dans la jungle, parties de domino avec les locaux, et des fantastiques plongées sous-marines. J’ai pu aussi prendre le temps de développer mon projet suivant : je devrais ainsi commencer sous peu une thèse sur les conflits entre la faune et les hommes avec une étude en particulier de l’importance des relations entre les différents acteurs du conflit et de l’impact de ces relations sur l’intensité des conflits. Le travail de terrain portera sur le conflit entre l’homme et le jaguar dans la Péninsule du Yucatan, au Mexique. Sur le chemin donc d’une nouvelle aventure…