Amrizal
Amrizal fait partie de l’équipe de terrain du CRU (voir description du projet) de Mane. Il est « mahout », le mot français étant cornac, c’est-à-dire la personne en charge de dresser les éléphants et guider par la suite l’éléphant domestique. C’est une personne très timide et je n’avais pas vraiment eu l’opportunité de lui parler avant de réaliser ce portrait sur lui. J’ai pu apprendre à le connaitre ainsi que le reste de l’équipe à l’occasion d’un trek de trois jours dans la jungle. Il semblait heureux de partager les histoires qui l’ont amené à travailler à Mane.
Il a ainsi pu me raconter qu’il avait toujours été fasciné par les éléphants. Son beau-frère travaillait au camp gouvernemental où sont gardés les autres éléphants domestiques. En effet, la politique du gouvernement indonésien pendant une longue période était de capturer les éléphants sauvages créant des conflits pour les mettre dans des camps où ils étaient domestiqués. Aujourd’hui, un moratorium a été appliqué pour la capture des éléphants mais il existe toujours des camps gouvernementaux où sont gardés les éléphants précédemment retirés du monde sauvage. C’est de là que les éléphants des CRU et les cornacs proviennent. Amrizal y a donc passé beaucoup de temps, et à l’âge de douze ans, il a essayé de monter sur un éléphanteau qui s’est, bien sûr, mis à courir. En tombant, il s’est cassé le poignet mais il a aussi décidé après cette expérience, que dresser les éléphants était « le métier qu’il ferait ». Il est donc revenu plus tard au camp où il a passé du temps à aider en tant que volontaire jusqu’à ce qu’une place de cornac s’ouvre pour lui. Il a travaillé 4 ans dans le camp de Sareh (camp gouvernemental) avant de rejoindre le CRU de Mane en 2010. A Sareh, les conditions de vies pour les éléphants sont plus dures, ils ont un accès limité à la nourriture fraîche et il était heureux de pouvoir offrir de meilleures conditions à son éléphant (chaque cornac a un éléphant attitré).
A Mane, il peut aussi intervenir lors des conflits avec les éléphants sauvages. Il explique qu’il comprend « que les habitants locaux ont besoin d’espaces pour cultiver des terres et manger mais les éléphants et les tigres ont aussi besoin de cet habitat pour vivre ». Les éléphants suivent juste les chemins qu’ils ont l’habitude d’utiliser et c’est quand ces chemins ont été réduits à un espace ouvert avec des champs que les conflits apparaissent. « Avec nos éléphants, on peut se rendre sur le terrain et aider les populations locales à repousser les éléphants sauvages. Et ça c’est important. » En effet, il me raconte que comme les éléphants sont des animaux territoriaux, lorsque l’intervention au sol à l’aide de pétards n’est pas suffisante, ils se rendent sur place avec leurs éléphants. S’il s’agit d’éléphants sauvages, plus jeunes que les éléphants domestiques, ceux-ci ne reviennent pas attaquer les champs. Cependant, parfois les éléphants sauvages sont plus vieux et ils ont donc recourt à trois éléphants très âgés des camps gouvernementaux, qu’il me décrit comme « les patriarches », qui semblent, eux, repousser à chaque fois les éléphants sauvages. Il m’explique aussi qu’à Mane, la seule présence des éléphants autour du camp a permis de réduire presque à zéro les conflits avec les éléphants sauvages dans les alentours. D’après lui, tout cela a permis de changer la perception des populations locales, et me dit que aujourd’hui « à chacune de nos interventions, les habitants sont très reconnaissants, plus qu’auparavant ».
Quand je lui demande ce qu’il pense du CRU, sa réponse est beaucoup plus pratique que les personnes que j’ai rencontrées jusqu’ici. En effet, il s’agit de son travail de tous les jours et il me parle donc des conditions de vie. Il commence par « quand je suis dans ma famille, j’ai souvent la paresse de revenir car le camp est dur d’accès et les conditions de vie avant n’étaient pas confortables » (le camp a été restauré dans les dernières semaines mais était avant ça en mauvais état, avec beaucoup de fuites dans les toits, rendant les jours de pluie très désagréables). Il regrette aussi parfois de ne pas avoir plus de visites des personnes en charge au sein de FFI et espère qu’un jour ils auront les moyens nécessaires pour améliorer le camp. Sinon, il pense que le projet des CRUs a un impact positif pour les populations locales. Il me confie cependant « [qu’]on pourrait faire plus avec plus de moyens, on n’a pas assez de voitures ou de moto pour accéder au site de conflit. Aujourd’hui, on fait ce qu’on peut, j’utilise ma propre moto pour aller sur les lieux de conflits sans tenir compte des potentiels accidents, mais on a besoin de plus de moyens et de plus de formation de terrain, pour savoir comment se servir d’une boussole etc… ». Pour finir notre discussion à propos de son travail au CRU, il me dit « pour moi, de toute façon, le plus important, ce n’est pas mon confort personnel, mais celui de mon éléphant. »